De la demeure familiale à la Maison-Blanche, Tissage Moutet fournit le monde entier en linge de maison. L’institution orthézienne, qui fête ses 150 ans, s’est appuyée sur les courtes séries pour éloigner le spectre d’une disparition.
Chez Tissage Moutet, le parcours initiatique commence dès la boutique, attenante à l’atelier. Le décor est planté : une centaine de références en torchon et une vingtaine de produits en nappe, prêts à aller investir les marchés français et internationaux. Du Linge Basque homologué avec l’Indication Géographique Protégée (IGP) et du linge Jacquard connu pour ses motifs.
« Nous sommes la seule société du Sud-Ouest à faire des rayures et des dessins. Et comme le linge Basque est sous IGP, nous sommes la seule au monde à faire du linge Basque et du linge Jacquard », signale Benjamin Moutet, PDG de l’entreprise, vêtu d’une blouse avec un M apposé en logo.
Le pari gagnant des séries courtes
Le quadragénaire représente la 5e génération de cette institution orthézienne, née en 1874, qui fête aujourd’hui ses 150 ans. Une barre symbolique qu’elle a failli ne jamais atteindre. D’abord avec la liquidation judiciaire en 1999 avant la reprise par la mère de Benjamin, Catherine Darrigrand. Puis, le dépôt de bilan en 2008 suite à la crise financière.
L’homme, qui travaillait dans le conseil et le juridique, fait son arrivée chez Tissage Moutet durant cette période. « Après la perte mon emploi à Paris, je suis revenu ici pour l’été. J’ai échangé avec ma mère qui allait vendre la société à un consultant. Le deal ne se fait pas. J’ai commencé à les aider. La double casquette juridique/commerce a été très utile. »
La clé du sauvetage : les séries courtes. La génération précédente avait emprunté ce chemin pour garder la fabrication à Orthez. Avec ses équipes de 30 salariés, Benjamin Moutet assoit cette direction. « Même si elle est contraignante, elle a cette qualité de consommer peu de matière, d’immobiliser peu de stocks. Un torchon, c’est à partir de 300 pièces. Pour un professionnel, ce n’est pas beaucoup. Elles sont vite vendues et ils recommandent. »
Relocaliser le coton et le lin
Comme chaque génération, Benjamin Moutet doit apporter une innovation à cette entreprise du patrimoine vivant (EPV). Il a choisi le développement durable, notamment sur l’approvisionnement des matières premières. Même si le coton est la meilleure à travailler, l’importer d’Inde, du Pakistan ou d’Egypte lui pose un problème.
« On essaie de moins l’utiliser », concède le chef d’entreprise dans son bureau situé au milieu de l’atelier. « Le coton arrive à Barcelone en bateau. On confie la teinte aux établissements Lepère à Nay. On est heureux d’avoir ce partenariat à 40 km et de pouvoir maîtriser le rejet des matières chimiques, surtout dans les cours d’eau. Le lin, on l’achète en Normandie, 1er producteur mondial. Il est ensuite filé en Pologne ou en Hongrie. Du coup, on réalise des phases de test sur des parcelles avec Maïsadour. On tente de convaincre les agriculteurs de planter du lin. »
Jusqu’à la Maison-Blanche
Une vraie philosophie car chez Tissage Moutet, hormis la teinture, tout est fait depuis Orthez du bureau d’études à la confection. Le savoir-faire béarnais voyage partout dans le monde. L’exportation a été une bouée de sauvetage au début des années 2010. Benjamin Moutet et ses collaborateurs continuent d’ancrer ce pilier.
« Il représente 40 % de notre activité et une quinzaine de pays réguliers : États-Unis, Japon, Autriche, Allemagne, Chine, Singapour, Australie, Canada, Angleterre. Nous nous différencions par cette excellence. Les clients le reconnaissent. Ils ne perdent pas de temps avec les malfaçons. Ils savent que quand nos produits arrivent chez eux, ils ont du haut de gamme. A travers nos créations, ils achètent l’image de Tissage Moutet. »
Dans cette clientèle cosmopolite, on retrouve quelques noms marquants : la maison Montfort pour emballer le foie gras, l’Assemblée nationale et… la Maison-Blanche à Washington. « Il est important de s’aligner sur leur niveau d’exigence. Pour nous, c’est une grande responsabilité et une immense fierté. On réalise des produits originaux pour eux », explique Benjamin Moutet.
Aujourd’hui, Tissage Moutet est une entreprise solide qui réalise 1,8 million d’euros de chiffre d’affaires. Elle vise la barre des 2 millions à l’horizon 2026. Pour y parvenir, l’entreprise veut continuer à renouveler son parc industriel, renforcer ses collaborations uniques avec des créateurs et proposer de nouveaux formats. « Nous souhaitons continuer à être une référence dans notre métier, à imposer notre logique avec des valeurs de curiosité, d’exigence, d’optimisme. Faire que le haut de gamme reste une contre-culture : se réinventer, proposer des choses nouvelles nous anime. »
Benjamin Moutet l’avoue : il ne se destinait pas à reprendre l’entreprise. Finalement, au coeur du réacteur, il a compris son attachement envers elle. « Dans la culture basco-béarnaise, la maison a une grande importance. Difficile à comprendre pourquoi, mais nous avons cet attachement quasi viscéral avec nos savoir-faire. Si on disparaît, plus personne ne viendra réindustrialiser. Alors, on fait tout pour les préserver. »
0 commentaires